Home Arts et Culture Interview exclusive de Yachim Yacouba Maiga : « Je n’ai pas voulu mettre des gants ou des masques pour caricaturer la pratique démocratique dans notre pays »

Interview exclusive de Yachim Yacouba Maiga : « Je n’ai pas voulu mettre des gants ou des masques pour caricaturer la pratique démocratique dans notre pays »

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Par Fousseni Togola et Ibrahim Djitteye

Dans le cadre du lancement officiel de son ouvrage « Mali : pouvoir de la démocratie chiffonnée », prévu pour ce samedi 21 mars 2020, Yachim Yacouba Maiga a reçu nous a reçu pour une interview. C’était aux éditions La Sahélienne Mali, le 17 mars 2020. Détenteur d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en Thermo-énergie en ex-URSS, ce natif d’Ansongo a expliqué quelques grandes lignes de son livre ainsi que les raisons ayant motivé son élaboration. Lisez l’interview !

Vous venez de publier « Mali : pouvoir de la démocratie chiffonnée ». Pourquoi ce titre ?

Yachim Y. Maiga : Des amis pensent qu’il s’agit d’un titre provocateur. Je dois dire qu’en tant que citoyen-acteur, je n’ai pas voulu mettre des gants ou des masques pour caricaturer la pratique démocratique dans notre pays, post 1991. Je suis témoin, acteur de toutes ces péripéties et toutes ces étapes de 1991 à aujourd’hui. Et avec ma vision, je voulais montrer ma déception, mes désillusions par rapport à l’objectif de 1991 qui était un Mali un, multipartiste et démocratique.

La démocratie, c’est « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Mais quand on regarde au Mali, c’est une minorité de Maliens intellectuels, fonctionnaires qui a bénéficié de ce que nous avions appelé de la démocratie.

Pourquoi « démocratie chiffonnée » ? Je veux prendre juste deux exemples. Le premier, prenons le vote comme une arme redoutable dans les mains d’un électeur. Au Mali, je me pose la question : le vote est-il une arme dans les mains de l’électeur ou une valeur marchande dans la poche d’un politicien ? Nous savons tous comment les élections se passent de 1992 à aujourd’hui. Aucun président malien n’a été élu avec plus de 50 % des électeurs. Vous avez des députés qui ont été élus avec moins de 6 voix, c’est-à-dire moins que le nombre des personnes qui constituent un bureau de vote. Aucun président élu, de 1992 à nos jours, je l’ai dit dans mon livre, n’a tenu compte du fait majoritaire, pour nommer, ne serait-ce qu’un Premier ministre. Nous avons vu des Premiers ministres qui sont de la société civile, nous avons également vu un Premier ministre qui a été nommé avec un député à l’Assemblée nationale. Aucun d’entre eux n’a été soumis à une motion de censure et que cette motion soit passée. Le deuxième exemple, je prends la justice. Nous avons la justice aux ordres de l’exécutif, une justice des plus forts. Je peux donner beaucoup de cas. Tout récemment, l’Imam Mahmoud Dicko a été convoqué, avant qu’il n’arrive au tribunal, on s’est précipité pour aller lui demander pardon. Le syndicat de la magistrature s’est levé contre ça. Je ne juge pas, je parle de la forme, je ne rentre pas dans le fond. Je pense que la généralisation de la corruption au Mali est un fait connu de tous.

La première couverture du livre sur laquelle se trouve représenté la main d'un électeur mettant un bulletin de vote dans une urne.
La première couverture du livre. Licence: Fousseni Togola
Qu’est-ce qui explique l’échec de la démocratie au Mali ?

À mon humble avis, l’échec de la démocratie repose sur les acteurs du mouvement démocratique qui ont mis en place les instruments juridiques de cette démocratie. J’ai eu la chance d’être témoin de la conférence nationale de 1991. En tant que réalisateur caméraman, j’ai filmé les douze jours de la conférence au Palais de la Culture Amadou Hampâté Ba.

Si vous regardez nos textes de la constitution malienne, ce n’est qu’un copié-collé de la constitution française. Je donne juste un exemple pour montrer comment ça a échoué. Entre deux tours, que ce soit les législatives ou les présidentielles, on vous dit que le second tour se tient 15 jours après le premier. C’est exactement ce qui est écrit dans la constitution française. Mais en France, quand on fait une élection, le dimanche à 18 heures les bureaux sont fermés, à 20 heures les résultats ne changent plus. Mais, au Mali, l’élection présidentielle de 2018, pour le second tour, les candidats n’ont eu que deux jours. On n’adapte pas, on n’a pas voulu réfléchir, aller au fond, demander quel type de démocratie nous voulons. Malheureusement nous sommes dans un État faillit, un État où il faut tout reconstruire.

Le parti unique n’a-t-il pas privilégié l’école plus que le multipartisme ?

Je ne peux pas faire une comparaison en termes de partis. Mais j’aime faire la comparaison en termes d’époque, de période. Effectivement avec l’avènement de la démocratie, l’école est délaissée. Le premier Président élu après 1991 est un enseignant, fils d’un enseignant et époux d’une enseignante. Mais c’est celui-ci qui est à l’origine de la mise en mal de cette école. Parce qu’avec l’avènement de la démocratie, l’AEEM est devenue toute puissante, elle va jusqu’à devenir une institution. On a politisé l’école, durant cette période. Alors qu’au temps du parti d’avant 1991, l’école était mieux structurée et mieux suivie. Je peux donner l’exemple sur moi-même, j’ai passé au Bac en 1982. Quand je suis arrivé en ex-URSS pour ma première année d’études d’ingénieur, après le premier trimestre, le professeur des mathématiques nous a approchés (8 étudiants maliens). Il me dit : « Emmène-moi ton cahier des Maths, je veux voir ». Il a regardé et puis il me dit : « Écoute, vous êtes exemptés des mathématiques supérieures pendant une année, parce que tout ce que nous sommes en train d’apprendre, vous le savez déjà. »

Aujourd’hui même avec le Bac, un Malien ne peut pas s’inscrire à l’extérieur. Le système a baissé. Est-ce la faute aux enfants ? Non, c’est la faute au système mis en place y compris les politiques soutenus par l’AEEM. Donc, ils font tout ce qu’ils veulent, on fait des années de deux ou trois mois. Moi en tant que parent, je peux donner de l’argent à un professeur pour que mon enfant passe. Nous sommes tous responsables à quelque niveau que ce soit. Nous sommes complices, soit nous sommes coupables. L’école était excellente, on avait des bons diplômes, on était fier d’aller étudier là où on va. Je dois tout à ce pays. Le Mali m’a donné l’essentiel, qui est l’éducation gratuite.

Dans l’avant-propos du livre, vous montrez que les élections générales de 1997, sous IBK Premier ministre, ont été un grand échec. Depuis 2013, le même homme est à la tête du pays comme président de la République. Ce sont les mêmes échecs que nous constatons. Comment expliquez-vous ces faits ?

On revient toujours à cette démocratie, à cette mafia démocratique que ceux qui sont au pouvoir ont mise en place. C’est comme le Kômô. Tout le monde n’y rentre pas, mais une fois rentré on ne sort plus. C’est une sorte de Kômô politique qu’ils ont mis en place et ils ont verrouillé le système. Ce sont les mêmes hommes qui sont là depuis 1991. C’est pourquoi je dis que le mouvement de 1991 est définitivement enterré au carré des martyrs.

En 1997, il n’y a pas eu d’élections. On était face à des faits accomplis. Hommage à celui qui était le président de la Cour suprême en ce temps pour avoir reconnu qu’il n’y a pas eu d’élections et pour avoir ainsi annulé ces élections. Cela était une première fois dans l’histoire du Mali. On a vu le fameux 11 mai, où Alpha Oumar Konaré a fait le tour du Mali avec les ressources de l’État pour la campagne de sa réélection. Une autre marque de la « démocratie chiffonnée ». Parce que c’était un président candidat. Tous les candidats ont boycotté. Il a pu convaincre pour partir avec un candidat, feu Mamadou Maribatrou Diaby. IBK était Premier ministre. Dans un pays normal, où il y a la démocratie, il se serait démis de ses fonctions. Il ne l’a pas fait, le président ne l’a pas chassé. Cela continue malheureusement. On pense au Mali que la démocratie s’arrête à l’élection, alors que les élections n’ont jamais réglé nos problèmes.

Doit-on restructurer le système démocratique malien ? 

Pas restructurer, mais il faut qu’on s’asseye et qu’on fasse l’état de lieux. La démocratie malienne a échoué ! Parce que les géniteurs (acteurs) de cette démocratie ont échoué et trahi le peuple. Les géniteurs qui ont renversé Moussa Traoré disant qu’on va avoir une démocratie multipartiste. Mais c’est faux ! Si nous continuons avec les mêmes hommes, celui qui est au pouvoir ne va pas mettre une aiguille dans son œil. Donc, il ne peut pas restructurer les textes à fond, il va juste les raccommoder, les arranger pour lui-même. Il faut une véritable transformation d’évolution. Si tu demandes un scientifique, « le second principe de la thermodynamique en physique dit quoi ? » Il te dira que le désordre ne peut s’accroitre dans une transformation réelle. Si nous entamons une transformation, il faut continuer jusqu’au bout. Je n’ai pas la solution. Je donne juste ma vision et ma réflexion. Il revient au peuple de prendre vraiment sa place, c’est seulement comme ça qu’on peut restructurer le système.  


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